Communiqué de la Commission Age, Droits, Liberté (1) :
1 ) La commission Age, Droits, Liberté est la Commission Droits et Liberté de la Personne Agée qui avait été accueillie par la FNG en 1986 et qui continue son activité après la dissolution de la FNG l’an dernier
(R Moulias, Président, membres : J Abbad, M Billé, F Blanchard, B Duportet, A Evrard, M Ferry, M-F Fuchs, G Imbert, C Lacour, M Le Sommer, D Martz, L Ploton, M Sider, M Simon-Marzais), communiqué rédigé avec la collaboration d’A Franco et R Gonthier
LES DIRECTIVES ANTICIPEES PEUVENT ELLES DEVENIR CONTRAIGNANTES ? UNE IMPOSSIBILITE PRATIQUE ET ETHIQUE
Mourir et «Mal mourir» font peur. Les «Directives Anticipées» sont un moyen pour certains de calmer cette crainte.
On appelle Directives Anticipées les volontés écrites par une personne lucide, valide, souvent en pleine santé, portant sur la conduite des soins qu’elle souhaite recevoir et surtout ne pas recevoir si elle n’était plus capable de s’exprimer à la suite d’une maladie ou d’un accident. De telles Directives Anticipées ne remplaceront jamais le dialogue du malade et du médecin. Ce dialogue est un préalable déterminant pour abaisser le seuil des peurs existantes et établir la confiance nécessaire à l’approche de la maladie, du traitement et de la mort dans un état de plus grande paix. Il est aussi le moment d’établir un consentement éclairé au traitement proposé, mais aussi parfois un refus éclairé.
Quand l’inconscience du patient ou tout autre obstacle rend impossible ce dialogue essentiel et approfondi, les Directives Anticipées peuvent être un outil utile dans certaines situations, mais elles ne remplaceront jamais ce dialogue. Le consentement ou le refus de soin établi dans une Directive Anticipée peut davantage être un souhait qu’un refus ou qu’un consentement éclairés puisque aucune information préalable du patient n’a été possible.
Les Directives Anticipées ne devraient elles pas être rédigées avec le médecin traitant pour que le patient soit éclairé sur le sens et la cohérence du souhait exprimé.
POURQUOI DES DIRECTIVES ANTICIPEES ?
Celui qui les rédige exprime, au moment où la réflexion et la communication sont pleinement possibles, sa volonté d’éviter tout traitement inutile ou inutilement prolongé. En cas d’impossibilité ou de grandes difficultés pour réfléchir, pour s’exprimer ou pour se faire entendre, les Directives Anticipées représentent les souhaits du patient. Les rédiger est souvent lié à la peur : peur de subir un acharnement thérapeutique abusif, de souffrir, de devenir dépendant d’autrui, de donner une image de déchéance, mais aussi à la culpabilisation, entretenue par certains, de coûter cher à sa famille, de coûter cher à la société.
Ces Directives, forcément incomplètes et floues – on ne peut tout prévoir -, traduisent aussi une défiance envers les proches, dont on sait qu’ils seront consultés, et un manque de confiance en la capacité des équipes de soins de décider de façon éthique et compétente la conduite thérapeutique appropriée.
Cette peur est entretenue par des lobbys qui font croire que l’acharnement thérapeutique est la règle, alors qu’il est clairement exclu des bonnes pratiques. C’est plutôt l’abandon thérapeutique qui menace le vieillard. La majorité des morts concerne des vieillards. Aujourd’hui encore, lors du mourir, les aînés peuvent se trouver confiés à une équipe non formée à cette situation. Cet abandon est d’autant plus fréquent que le regard porté sur le vieux malade quand il arrive en situation d’urgence reste parfois négatif.
LIMITES DES DIRECTIVES ANTICIPEES
Pour le médecin et pour l’équipe de soins : les décisions peuvent être facilitées par cette connaissance des volontés d’un patient qui ne peut plus s’exprimer et dont les proches ne peuvent ou ne veulent être consultés ou expriment des désaccords. Cependant, le risque est grand que l’existence de Directives Anticipées éteigne toute réflexion éthique sur la conduite thérapeutique à mener « Puisqu’il a décidé pour nous ». Dans l’actuelle Loi Leonetti disposer d’une directive est un élément important pour décider, mais elle ne peut pas faire la décision. Les aspects médicaux du pronostic immédiat et futur doivent prédominer : quelles chances de survie pour le patient et avec quelle qualité de vie ? Une directive ne peut anticiper tous les facteurs que doit évaluer en permanence l’équipe missionnée pour la prise en soin de ce patient.
Une Directive Anticipée ne pourra jamais tout envisager. Elle se limite souvent à la volonté de «de ne pas être réanimer», de «ne pas devenir dépendant». Une équipe réanime un malade pour le rétablir au mieux dans ses fonctions et ses activités et non dans l’objectif de le garder en état végétatif. La proposition d’un formulaire où le rédacteur de Directives Anticipées mettrait des croix dans des cases est scandaleuse et montre bien les dérives possibles.
Pour suivre par obligation légale des Directives Anticipées, ne va-t-on plus réanimer celui qui se présente dans une situation potentiellement curable : choc septique, hypoglycémie, coma diabétique, urgence vasculaire cérébrale ou cardio-vasculaire, trouble du rythme cardiaque, crush syndrome, insuffisance rénale aigue, pneumopathie asphyxiante, etc. ? Laissera t-on perdre des chances, y compris de guérison complète et sans séquelle pour suivre une directive qui ne peut ni prévoir l’infinie variété des pathologies graves, ni les bonds de progrès de la Science. Les directives ne peuvent être qu’indicatives, jamais impératives. Le risque est de contraindre à mener un soin inapproprié à la situation. Ce qu’éthiquement tout médecin est en devoir de refuser.
Tout patient est libre de refuser la décision médicale de son médecin. Tout médecin est libre de refuser la décision médicale de son patient.
L’exécution contraignante et impérative de Directives Anticipées conçues ou interprétées comme des ukases risque de provoquer des morts indues et des survies accompagnées de lourdes séquelles, en s’opposant au traitement approprié en temps utile.
Les Directives Anticipées sont les souhaits de personnes valides. L’expérience montre que celui qui, valide, est le plus décidé à refuser tout handicap, est souvent celui qui, invalide, aura la plus spectaculaire résilience pour surmonter le handicap le plus lourd.
DANGERS DE RENDRE CONTRAIGNANTES LES DIRECTIVES ANTICIPEES
Suivre obligatoirement, à la lettre, des Directives Anticipées devenues contraignantes et non plus indicatives peut entraîner une déresponsabilisation des équipes et des médecins, déchargés de toute réflexion sur les indications, les contre –indications, les non –indications, les bonnes pratiques issues de leur savoir et de leur expérience professionnelle. Soigner ne serait plus la mission d’assurer la prise en soin et le traitement d’un « patient » selon son savoir, son expérience, l’état de la science et une éthique qui privilégie toujours bien–être et consentement ou refus éclairés. Ce serait un travail de prestataire qui obéirait à un « client » imposant ses ordres à un exécutant dépourvu de responsabilités et de liberté, celle de lui apporter le soin approprié.
Dans la proposition de loi, il semble qu’aucune clause de conscience ne semble prévue. La consultation d’un confrère lorsque la directive correspond à un «soin inapproprié» est conçue comme exceptionnelle et comme une disposition transitoire à abandonner. Cette situation de «soin inapproprié» résultant d’une Directive Anticipée ne peut être que fréquente. A la limite, un «client»- recourant au besoin au Juge - pourrait ainsi «donner ordre» au médecin d’agir contre ses bonnes pratiques, contre l’Ethique médicale, de se mettre en faute vis-à-vis de cette Ethique. Cela s’inscrit dans la tendance actuelle de tout régler par des protocoles et des procédures plutôt que par la réflexion collégiale sur le cas forcément individuel et unique. Cette attitude règlementariste - et souvent punitive -conduit à une détérioration du sens critique et de la réflexion éthique lors de ces situations complexes et délicates, au profit d’un démotivant «soin défensif» qui ne tient plus compte de l’intérêt du patient, mais de la conformité normative. Elle entraînera forcément de coûteux litiges juridiques et de pénibles conflits familiaux.
Tout pouvoir a ses limites. On ne peut tout imposer à autrui, en particulier au professionnel qui a sa compétence, son expérience, sa déontologie, une éthique et une «sagesse» professionnelles. Par exemple, hors domaine médical, nul passager ne saurait imposer au conducteur de son taxi, parce que c’est sa volonté à lui client, de prendre des sens interdits, de ne pas tenir compte des limitations de vitesse, ni de la signalisation. Nul client ne saurait non plus exiger de son banquier de procéder à une escroquerie ou à une opération ruineuse pour lui-même. Nul constructeur ne peut demander à son architecte de construire un bâtiment qui ne respecte pas les règles de la pesanteur. Dans aucun métier le client ne peut imposer à son prestataire ce que celui-ci juge néfaste, impossible ou non – éthique.
Etonnamment, la Médecine serait le premier métier où le client aurait un droit permettant limiter le devoir du professionnel de suivre les règles de son métier; un devoir d’agir sur ordre contre son savoir et sa conscience. Pourquoi un patient pourrait il ordonner à son médecin et à son équipe de soin une action contraire aux bonnes pratiques, aux bonnes conduites, à l’Ethique ? Cela n’existe dans aucune autre profession… sauf peut–être parfois celle de Juge.
Le médecin propose et demande le consentement de son malade. Il n’a aucun pouvoir sur sa personne. De même, il n’a pas à accomplir - sur les injonctions d’autrui, malade ou juge - un acte contraire aux bonnes pratiques de son métier. Le médecin ne peut agir sans le consentement du malade. Nulle loi ne peut donner au malade le pouvoir d’obliger son médecin à agir contre son propre consentement.
Tout pouvoir a ses limites, y compris le pouvoir individuel. Il serait contraire à tout bon sens et à l’Ethique de donner à des Directives Anticipées un pouvoir décisionnel impératif. Elles ont été rédigées des mois ou des années auparavant, dans une situation entièrement différente et par un patient forcément non informé du traitement de ses avantages, inconvénients et risques. L’état d’esprit du rédacteur change souvent avec sa situation pathologique. Il existe déjà des abus tels les formulaires à cases où mettre des croix dans lesquels on propose d’accepter ou refuser des traitements dont le signataire ne connaît ni les indications, ni même l’existence.
De plus, des Directives Anticipées montrées dans une situation d’urgence, rien ne peut prouver leur authenticité (Il faut y penser aussi !). Leur caractère contraignant supprimerait toute possibilité de proposition de l’équipe professionnelle en fonction des éléments actuels et factuels dont elle dispose sur la situation du patient et sur son avenir.
DEUX PROPOSITIONS
Des Directives Anticipées rédigées systématiquement avec le médecin traitant se rapprocheraient du consentement et du refus éclairés sans en avoir l’adaptation précise à la situation. Le médecin pourrait, en dehors de toute situation d’urgence expliquer à la personne ce à quoi il s’expose, les avantages et les inconvénients de ses souhaits en fonction de diverses situations. La rédaction serait plus précise sur les craintes et les souhaits réels du patient qui auraient un témoin.
Lors de leur utilisation, la contre signature du médecin traitant serait à la fois une garantie d’authenticité, un témoignage qu’il y a eu une information et donnerait un référent compétent sur ce que souhaitait réellement le signataire.
Changer le terme de Directives Anticipées pour celui de «Dispositions pour la fin de vie» serait beaucoup plus clair. Les Directives Anticipées ne peuvent strictement concerner que la fin de vie et non une pathologie curable. « Dispositions pour la fin de vie » préciserait nettement que lorsque la situation pathologique du patient inconscient ou incapable de s’exprimer est corrigible par un traitement efficace permettant un retour à la situation antérieure, suivre le traitement approprié pour ce rétablissement est nécessaire.
CONCLUSION
Les Directives Anticipées ou des mieux, des «Dispositions pour la fin de vie» doivent devenir un important élément de la décision. Elles font partie des éléments qui vont étayer la décision de débuter ou d’interrompre un traitement, (mais non des soins). Des Directives Anticipées claires, précises, cohérentes peuvent faciliter l’art de soigner et d’accompagner. Mais il devrait être évident qu’elles ne peuvent pas imposer la démarche thérapeutique indiquée dans une situation corrigible. Tout au plus peuvent elles signifier qu’en telles circonstances précises il ne sera pas fait usage de telle technique sans rechercher les moyens d’accompagner la douleur physique et la souffrance morale et sans évaluation et pondération rigoureuses des avantages et des inconvénients réels du traitement … c'est-à-dire sans le suivi des bonnes pratiques et de la décision collégiale que devraient respecter toute équipe.
Nul ne peut prévoir toutes les nuances et évolutions d’une nouvelle situation pathologique, ni ses propres réactions –souvent inattendues- ni sa résilience ou sa démission face à cette situation nouvelle. Les Directives Anticipées sont évidemment à respecter dans leur esprit.
Mais les rendre contraignantes aboutirait souvent à des impossibilités pratiques et à des situations contraires à toute éthique.
Ne pouvant jamais remplacer le consentement éclairé ou le refus éclairé, les Directives Anticipées ne peuvent pas devenir contraignantes, ni dans le droit ni dans la pratique. Cela amènerait à des attitudes contraires à l’éthique la plus élémentaire. Evitons des morts absurdes.
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